Les Lys de Tian’anmen

Antenne 2, édition spéciale de 8 heures, lundi 5 juin 1989.

Hervé Claude :

« Bonjour,

En Chine, le spectre de la guerre civile se dessine désormais. Ces dernières semaines, la répression a fait des dizaines de morts et des milliers de blessés. Mais cette répression sanglante n’a pas fait taire la révolte des étudiants et de toute la population. Plusieurs faits font craindre aujourd’hui qu’une véritable guerre civile ne se déclenche. Avant-hier à Beijing on a vu des policiers se battre, d’un côté ceux qui veulent obéir aux ordres et de l’autre ceux qui aspirent aux mêmes libertés que les manifestants. Il y a, on le sait, d’autres manifestations, d’autres révoltes dans toutes les grandes villes du pays. Et tout au long de ses évènements, la population de la capitale chinoise a poursuivi sa résistance.

Nous retrouvons sur place Martine Laroche-Joubert. »

Martine Laroche-Joubert :

« On le sait, la Chine est gouvernée par un régime autoritaire qui semble prendre une allure dynastique depuis que Chiang Ching-kuo a succédé à son défunt père Chiang Kai-Tchek en 1975. L’année 1976 a même laissé espérer une démocratisation avec l’autorisation d’un premier parti d’opposition, le Parti Démocrate Progressiste, mais depuis plus rien. Ici, les oppositions sont nombreuses, mais toutes illégales et le régime règne d’une main de fer, réprimant systématiquement les manifestations par la violence.

Mais un mouvement est venu changer la donne. Il s’agit d’un mouvement étudiant, le mouvement des Lys sauvages qui dénonce la dictature, la corruption et le népotisme. Les manifestations ont commencé en avril dernier et se sont multipliées à travers tout le pays, mais systématiquement réprimé. Que veulent ces étudiants, vous demandez-vous ? Eh bien, ils souhaitent la même chose que n’importe qui d’autre à leur place : la démocratie.

Il y a quelques semaines, les mouvements indépendantistes du Xinjiang et du Tibet sont ressortis de l’ombre et le président Chiang Ching-kuo a alors déclaré la loi martiale dans ces deux régions et imposé un blackout total à la presse. L’intervention de l’armée aurait pu effrayer les étudiants, mais il n’en est rien. Depuis, les étudiants occupent toutes les universités du pays et les manifestations se sont transformées en véritables batailles rangées contre la police antiémeute. Pourtant, il y a deux jours, dans certaines régions, la police s’est montrée de plus en plus réticente à réprimer les manifestations qui ont gagné en ampleur. À Shanghai et Beijing, les manifestants ont appelé à la grève générale, bloqué les rues et dressé des barricades. Un appel entendu puisque dans la foulée, les partis d’oppositions, tous illégaux, ont rejoint les rangs des manifestants et la plupart des usines du pays sont maintenant en grève, entamant la plus grande grève de l’histoire. On s’attendait à une prise de parole du président Chiang, mais toujours rien.

Depuis hier, la situation menace de déraper à tout moment tout en restant très floue. Dans la soirée, l’armée a commencé à se déployer dans tout le pays, manifestement la loi martiale a été déclarée sur l’ensemble du territoire, malgré l’absence de communiqué officiel. La population à découvert avec stupeur que dans le Sichuan, le Fujian et à Taiwan ; l’armée, les manifestants et les élus locaux ont déclaré ne plus reconnaitre l’autorité du président Chiang.

Sommes-nous sur le point d’assister à une nouvelle guerre civile chinoise ? C’est une crainte qui hante les esprits. Il y a quelques heures, le président de l’Union soviétique Vladimir Kryuchkov se tenait au côté du président américain Alexander Haig à Camp David. Tous les deux ont appelé au calme, au respect des aspirations populaires chinoises et ont enjoint les autorités chinoises à ne pas faire usage de la force pour résoudre la crise, mais plutôt à s’engager sur la voie de la réforme.

Comme vous les voyez sur ces images prises il y a quelques minutes, la place Tian’anmen sur laquelle nous nous tenons est occupée par des milliers de manifestants pacifistes. Hier soir, les manifestants ont été rejoints par les policiers pourtant chargés de les réduire au silence. Si vous regardez autour de la place, vous pouvez voir que la zone est encerclée par l’armée. Il s’agit des troupes et des chars de la 38ème armée du général Xu Qinxian qui ont pris place cette nuit dans et autour de la capitale chinoise. Pour le moment, aucun affrontement n’a eu lieu entre les manifestants et l’armée qui se contente de protéger les lieux clés et de surveiller les voies de communication. Certains soldats et étudiants discutent même calmement, pendant que la place de la porte de la Paix céleste résonne au son des chants et discours révolutionnaires jour et nuit.

Sur ces images prises à l’aube, ce soldat anonyme et cagoulé nous fait savoir qu’il est hors de question pour lui de s’attaquer aux manifestants, et ce, pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’ils jugent leurs demandes de démocratie légitime et parce que lui-même souhaite que le pays se modernise et se réforme. De plus, sa sœur fait partie des manifestants.

Sur le plan politique, les manifestants sont donc appuyés par les partis d’opposition illégaux que sont le Parti du Peuple, le Parti du nouveau pouvoir et le Parti Communiste ainsi que l’opposition légale représentée par le Parti Démocrate Progressiste. Mais au sein même du Kuomintang, les opinions divergent puisqu’il est de notoriété publique que le parti est composé de plusieurs factions et c’est peut-être de là que viennent le flottement et le flou politique de ces derniers jours. L’aile gauche du parti mené par Lee Teng-hui pourrait bien faire basculer la situation. L’incertitude règne, le président Chiang reste silencieux et invisible au point qu’il se murmure qu’un coup d’état aurait eu lieu dans la nuit.

Il ne fait aucun doute que cette journée sera décisive pour l’histoire de la Chine. Le pays est au bord de l’abîme, car les prochaines heures pourraient voir une répression massive, une guerre civile ou un effondrement sans effusion de sang du régime. »

Note de l’auteur : petit texte écrit en deux heures, cette histoire mélange le Taiwan’s Wild Lily student mouvement de 1990 et les évènements de Tian’anmen de 1989 dans un monde où les nationalistes auraient gagné la guerre civile chinoise. Dans ce monde comme dans le nôtre, Tchang Kaï-chek est un dictateur et son fils lui succède à la tête du pays. L’ensemble des personnages cités dans le texte sont historiques, mais uchroniques. Si l’uchronie en général vous intéresse, je vous invite à lire les deux premiers tomes de mon univers uchronique « Au Bord de l’Abîme ». J’ai d’ailleurs repris le procédé narratif du dernier chapitre du Cycle 2 pour vous proposer « Les Lys de Tian’anmen ». Vous pouvez aussi nous rejoindre sur le Forum des Uchronies Francophones.

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