Les Phéniciens ont découvert l’Amérique

Les théories selon lesquelles les Phéniciens (ou d’autres peuples sémites) ont découvert l’Amérique suggèrent qu’ils ont découvert, voir même colonisé le Nouveau Monde un millénaire avant notre ère.

Les différentes théories :

Les premières théories sur le sujet apparaissent aux 18ème et 19ème siècles. À la fin du 18ème siècle, un certain nombre de personnes ont spéculé sur l’origine des pétroglyphes sur Le rocher de Dighton[1]. Ezra Stiles, alors président du collège Yale, les croyait hébraïques. Antoine Court de Gébelin, qui a initié l’usage moderne du Tarot, a soutenu dans « Le Monde primitif » qu’ils ont commémoré une ancienne visite à la rive du Massachusetts par un groupe de marins carthaginois.

Au 19ème siècle, la croyance en une visite israélite aux Amériques devint une partie du mormonisme. Ross T. Christensen a proposé la théorie selon laquelle les Mulekites dans le Livre de Mormon étaient « largement phéniciens dans leur origine ethnique ».

En 1871, dans son livre Ancient America, John Denison Baldwin a déclaré : l’entreprise connue du peuple phénicien, et cette connaissance ancienne de l’Amérique, si diversement exprimée, encouragent fortement l’hypothèse que les gens que l’on appelait Phéniciens sont venus sur ce continent, ont établi des colonies dans la région où se trouvent des villes en ruines et l’ont empli de civilisation. On prétend qu’ils faisaient des voyages sur le « grand océan extérieur » et que de tels navigateurs avaient traversé l’Atlantique ; et il est ajouté que des symboles semblables à ceux des Phéniciens se trouvent dans les ruines américaines et qu’une ancienne tradition des Mexicains et des Amérindiens ont décrit les premiers civilisateurs comme des « hommes blancs barbus », qui « venaient de l’Est par bateau ».

Dans les années 1870, une inscription en pierre aurait été découverte à Paraíba, au Brésil. Une transcription a été montrée à Ladislau de Souza Mello Netto, directeur du Musée national du Brésil. Netto a accepté l’inscription comme authentique, mais quand on l’a déclaré plus tard comme un canular, Netto s’est récusé, a accusé « les étrangers » de sa fabrication. Dans les années 1960, Cyrus H. Gordon a cru que l’inscription était authentique et a créé une traduction qui commence par : « Nous sommes des Cananéens Sidoniens de la ville du Roi Marchand… » La formation de lettres de l’inscription est due à des variations qui se sont produites individuellement et ont disparu au cours d’une période de 800 ans et donc l’assemblage en une seule pièce d’écriture prouve que l’inscription est un faux.

Au 20ème siècle, les adhérents à la thèse phénicienne ont inclus Cyrus H. Gordon, John Philip Cohane, Ross T. Christensen, Barry Fell et Mark McMenamin. Gordon croyait que des inscriptions hébraïques anciennes avaient été trouvées sur deux sites dans le sud-est des États-Unis, indiquant que les Juifs étaient arrivés avant Christophe Colomb. L’une de ces découvertes supposées était l’inscription de Bat Creek, que Gordon pensait être du paléohébraïque[2], mais est généralement considérée comme une contrefaçon. Une autre découverte qui a été revendiquée comme supportant la théorie de la découverte sémitique des Amériques est la Pierre du décalogue de Los Lunas[3], qui a également été déclaré comme un faux.

En 1996, Mark McMenamin a proposé une théorie selon laquelle les marins phéniciens ont découvert le Nouveau Monde en 350 av. J.-C.. L’état phénicien de Carthage a frappé des statères[4] en or en 350 av. J.-C., portant un motif, dans l’exergue inversé des pièces, que McMenamin a interprété comme une carte de la Méditerranée avec les Amériques montrées à l’ouest sur l’Atlantique. McMenamin a ensuite démontré que les supposées pièces de monnaie carthaginoises trouvées en Amérique étaient des falsifications modernes.

Diverses théories sur les Phéniciens/Cananéens/Carthaginois dans le Nouveau Monde ont été discutées, les preuves ont été examinées et rejetées par Marshall McKusick dans The Archaeology Biblical en 1979, il a observé qu’« en ces temps modernes, chacun veut être son propre pouvoir, et la recherche personnelle d’alternatives culturelles semble rendre toute idée ou théorie égale en valeur ».

Plus récemment, Lucio Russo a spéculé sur une probable arrivée des Phéniciens dans les Amériques dans ses analyses philologiques de la Géographie de Ptolémée donnée dans « L’América dimenticata ». D’après Russo, Ptolémée donne les coordonnées des îles des Bienheureux, mais en même temps, il réduit la taille du monde d’un tiers par rapport à la taille mesurée par Ératosthène. Il observe qu’en attribuant ces coordonnées aux Antilles, le monde revient à la bonne taille, la description géographique donnée par Ptolémée s’inscrit beaucoup mieux et certaines déformations inexplicables dans la carte du monde de Ptolémée disparaissent. Russo soutient que les coordonnées des Antilles doivent être connues de la source de Ptolémée, qui était Hipparque. Hipparque habitait à Rhodes et pouvait avoir obtenu cette information auprès des marins des Phéniciens, puisqu’ils avaient le contrôle total de la Méditerranée occidentale à cette époque.

Évaluations actuelles des thèses phéniciennes :

Glenn Markoe dit que « l’on ne sera probablement jamais » si les Phéniciens ont atteint les Amériques. Il explique : « La preuve sous la forme d’une inscription, comme le célèbre texte phénicien prétendument trouvé en Paraíba dans le nord du Brésil, reste peu probable. Ce dernier, qui raconte l’atterrissage d’un groupe de Sidoniens égaré par les tempêtes, est depuis longtemps reconnu comme une falsification. Si un tel évènement avait effectivement eu lieu, la preuve est plus susceptible d’être trouvée dans une poignée de fragments de poteries phéniciennes ».

Ronald H. Fritze discute de l’histoire de ces revendications du 17ème au 20ème siècle, en concluant que : « bien que techniquement possible aucune preuve archéologique n’a encore été découverte pour prouver les allégations d’Irwin, Gordon, Bailey, Fell et autres. Puisque même la présence fugitive de Norrois au Vinland a laissé des traces archéologiques définies à L’Anse aux Meadows à Terre-Neuve, il semble logique que la présence prétendument plus vaste de Phéniciens et de Carthaginois ait laissé des preuves similaires. L’absence de tels vestiges est une forte preuve circonstancielle que les Phéniciens et les Carthaginois n’ont jamais atteint les Amériques ».

Il faut aussi revenir sur la version de John Denison Baldwin selon qui des Mexicains et des Amérindiens ont décrit les premiers civilisateurs comme des « hommes blancs barbus », qui « venaient de l’Est par bateau ». Carthaginois et Phéniciens peuplaient le proche orient, ses régions n’ont jamais été peuplées par les blancs. Les Grecques les désignaient soit par rapport à la teinture de pourpre, dont les artisans phéniciens s’étaient fait une sorte de spécialité, soit pour la couleur de leur peau qui leur paraissait « cuivrée ». Le livre « La vie quotidienne à Carthage au temps d’Hannibal » va même plus loin en décrivant les Cananéens (Phéniciens) pour les Grecs et Carthaginois pour les Romains comme étant des populations de « race noire » : « L’analyse anthropologique des squelettes trouvés dans les tombes prouve qu’il n’existait aucune unité ethnique ; le type dit sémitique ne s’y rencontre pas plus qu’à Sidon[5] d’ailleurs… La majorité de la population punique semble avoir eu des ancêtres africains nègres, de qui elle tenait ses cheveux crépus, son front bas, ses lèvres charnues… Il semble bien que les femmes, et peut-être aussi les hommes n’aient pas hésité à se faire tatouer… Les joues sont striées de bandes horizontales qui rappellent les peintures corporelles des Nègres (sic) et des Polynésiens ». « Cuivré » ou « noir », en tout cas on est bien loin de l’homme blanc barbu.

Quant au Mulekites du Livre de Mormon qui serait « largement phénicien dans leur origine ethnique » d’après Ross T. Christensen, il est utile de rappeler que la première édition du Livre de Mormon date de 1830 et que Joseph Smith aurait plagié un ou plusieurs autres ouvrages à sa disposition dont le « Manuscrit retrouvé » de Salomon Spaulding ou « Vu des Hébreux » d’Ethan Smith. Il se pourrait même que Smith ne soit pas le véritable auteur du Livre, mais qu’il ait été écrit par ses compagnons Sidney Rigdon et Oliver Cowdery. Aucune connaissance scientifique et historique ne valide le contenu du Livre de Mormon.


[1] Est un bloc erratique de pierre d’une quarantaine de tonnes qui se trouvait à l’origine dans le lit du fleuve Taunton, à Berkley, dans le comté de Bristol (Massachusetts), aux États-Unis. Il est célèbre pour ses mystérieuses inscriptions, qui ont donné lieu à plusieurs hypothèses sur la découverte de l’Amérique du Nord.

[2] Également appelé ktav da’atz ou ktav ra’atz, est une ramification de l’alphabet phénicien utilisé pour écrire l’hébreu à partir du 10ème siècle av. J.-C.

[3] Énorme rocher situé sur les pentes de Hidden Mountain, près de Los Lunas au Nouveau-Mexique, à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Albuquerque et qui porte une inscription taillée d’une façon régulière sur le plat de la roche et qui s’apparenterait au texte du décalogue.

[4] Terme générique désignant des monnaies antiques.

[5] Liban actuel.

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