Opération Austfieg, Guerre et Histoire n° 44.
Mettant en œuvre près de 2 000 avions allemands. L’Opération Austfieg est une opération de Luftwaffe visant à anéantir les bombardiers stratégiques alliés pour mettre fin à la destruction des villes, usines et infrastructures allemandes.
La supériorité aérienne des alliés
Depuis le débarquement allié en Normandie, la supériorité aérienne n’est clairement plus en faveur des Allemands. Les usines, villes et infrastructures sont bombardées jour et nuit. La production de matériel de guerre est en chute libre et il est de plus en plus difficile d’acheminer munitions et carburants sur le front. Le temps couvert du mois de décembre n’a pas permis à l’aviation des deux camps d’effectuer des missions en nombre, à de rares exceptions près. Cependant, il est évident qu’une fois le beau temps revenu, la Royal Air Force et l’USAAF reprendront leurs sorties.
L’organisation de la Luftwaffe
Après la mise en détention d’Herman Hoering, le commandement de la Luftwaffe est confié à Wolfram Freiherr von Richthofen qui se fait seconder par le célèbre Adolf Galland. Ils réorganisent les missions de Luftwaffe, ne lui attribuant plus que des missions ayant des chances réalistes d’aboutir à un bon résultat. Suite à la démission de Richthofen à la fin du mois d’octobre pour problème de santé, Gallant prend la tête de Luftwaffe. Il fonde alors le Jagdverband 44, dont il assure le commandement. Il continue alors à travailler sur un plan qu’il appelle « le grand Coup » et qui pourrait permettre de rétablir l’équilibre des forces aériennes sur le front de l’ouest.
Le Jagdverband 44

Le Jagdverband 44 (JV 44) est une unité spéciale de chasse regroupant les aces de Luftwaffe. L’unité vole principalement sur le chasseur à réaction Messerschmitt Me 262. L’unité est créée et commandée par Adolf Galland qui est aussi devenu commandant de la Luftwaffe. L’unité dépend directement d’Adolf Galland et ne dépend d’aucune autre hiérarchie. Galland choisit lui-même les pilotes qui volent au sein de l’unité, les cinq meilleurs pilotes de l’unité totalisent à eux seuls plus d’un millier de victoires en combat.
À cause de la distance nécessaire aux décollages et atterrissages et de la vulnérabilité qui en découle, le JV 44 se voit rattacher cinq appareils Fw-190 chargés de protéger les pilotes pendant ces phases.
Les Me 262 du JV 44 sont une variante de la version A-1a/U5. Ils disposent de 6 canons de 30 mm dans le nez et emportent 24 roquettes.

Opération Austfieg, le plan ambitieux d’Adolf Galland
À partir du début 1944, la Luftwaffe commence à rêver du « Grand Coup » (allemand : Großer Schlag) c’est-à-dire la possibilité de lancer en une seule fois plusieurs milliers de chasseurs contre un grand raid de bombardiers américains. Néanmoins, le débarquement en Normandie et l’offensive d’été de l’Armée rouge l’ont contrainte à disperser ses unités sur plusieurs fronts. Pendant l’automne, les difficultés logistiques des Alliés occidentaux et les pluies d’automne sur le Front de l’Est offrent un répit. De plus, l’arrêt quasi total des opérations aériennes et le redéploiement des pilotes de bombardiers ont permis de rassembler le carburant et les effectifs nécessaires. En lançant plusieurs milliers d’avions d’un coup, la Luftwaffe escompte obtenir la supériorité numérique sur les Américains dont chaque grand raid est composé d’au moins un millier de bombardiers et d’un nombre équivalent d’escorteurs. Ainsi, elle pourrait causer des pertes insupportables aux Américains et forcer l’USAAF à stopper temporairement ses bombardements. Si les Américains sont ciblés, c’est parce que leurs appareils opèrent de jours alors que ceux de la RAF opèrent de nuit. Monter une opération d’une telle empleur contre un raid nocturne est tout simplement irréalisable.
En octobre, Galland propose à Richtofen de tester son plan en utilisant 260 chasseurs pour intercepter l’un des raids massifs de l’USAAF. Richtofen refuse « si nous devons risquer des appareils autant que ce soit pour un coup décisif ».
Après plusieurs ajustements, le plan de Galland est le suivant :
- À 4 h 30, des fusées V1 doivent frapper les positions d’Anvers, Bruxelles et Lièges.
- À 5 h, 700 BF-109 et Fw-190 vont attaquer les bases aériennes alliées en France et en Belgique.
- Dès que le raid de bombardiers est détecté, 1 000 chasseurs BF-109 et Fw-190 doivent attaquer l’escorte des bombardiers.
- 200 chasseurs à réactions attaquent les bombardiers.
- 100 chasseurs sont chargés d’abattre les bombardiers endommagés qui tenteraient de se poser en France, Suisse ou Suède.
Le 12 novembre 1944, la chasse allemande dispose de plus de 3 700 appareils, une force qu’elle n’avait jamais atteinte, dont 2 000 étaient destinés au « grand coup ». Il ne restait plus qu’à guetter l’occasion parfaite. L’opération jusqu’alors baptisée Großer Schlag devient Austfieg (Ascension).
Alors que la fin d’année approche, les conditions météorologiques s’améliorent et la mission est finalement confirmée pour le 1er janvier 1945, les Allemands tablent sur « l’esprit de fête » des Alliés, lesquels devraient « baisser leur garde ».
Extrait du journal d’Adelhard Steinmann[1], pilote du Jagdverband 44 |
La guerre est perdue. Les Américains et les Britanniques avancent à l’ouest. Les Russes en font autant à l’est. On ne peut pas les arrêter. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils n’envahissent notre pays et que la guerre se termine enfin. Pour le moment, nos villes sont bombardées jour et nuit. […] Je me sens comme si un ange me transportait à travers le ciel. […] Profondément épuisés, nous avons vu nos villes brûler alors que nous étions dans les airs. […] Une partie des pilotes présents dans cette escadrille sont des gars que l’ancien régime souhaitait voir morts, mais n’osait pas tuer. Nous avons combattu durant toute la guerre et nous sommes toujours vivants. Nous sommes ceux qui ne soucient ni du Reich ni de la République, nous-nous soucions du peuple allemand. Nous défendrons le peuple contre les bombardiers. En tant que soldat, notre devoir est de le protéger jusqu’à ce que cette longue et horrible guerre se termine. […] Si nous détruisons un raid de Forteresses volantes… … C’est probablement du suicide. On n’y prête pas vraiment attention. Nous avons la responsabilité d’essayer d’éviter que nos villes soient détruites. […] Les bombardiers ennemis arrivent. La première vague vient de décoller. Les Américains pensent que la Luftwaffe n’est plus un adversaire valable. Ils ne se soucient plus de notre silence radio total. Ils pensent que nous ne pouvons plus nous battre. Nous ne pouvons plus gagner la guerre, mais nous pouvons nous battre pour notre peuple… en attendant la fin. |
Déroulement de l’opération
L’attaque contre les aérodromes :
La mission des V1 se déroule sans encombre, mais obtient peu de résultats. À 5 h, c’est au tour de la force principale d’entrer en action. Les 700 appareils de la première vague se dirigent vers une dizaine de bases alliées. Leurs résultats sont plutôt mitigés. Si l’opération connaît un franc succès sur certains objectifs comme les bases de Melsbroek, Saint Denis-Westrem et Maldegem. Les attaques menées contre Metz-Frescaty, Volkel, Anvers-Deurne et Le Culot sont très confuses et se révèlent être des échecs. Les alliés perdent 126 appareils et 44 sont endommagés, les pertes allemandes sont estimées à au moins 300 avions et plus de 230 pilotes tués.
L’attaque contre les bombardiers :
Le 1er janvier, la totalité des appareils allemands attend l’ordre d’attaque. Un raid massif estimé entre 1 500 et 1 800 appareils alliés est détecté. À 10 h 30, 1 000 BF-109 et Fw-190 — parmi lesquels Erich Hartmann[2] — décollent, suivit quinze minutes plus tard par les Me 262 et le reste des vagues de chasseurs.
Les observateurs assistent alors à une bataille aérienne apocalyptique de près d’une heure et s’étalant sur une zone d’environs 200 kilomètres. L’intervention des Me 262 ne dure que trente minutes, mais fait des ravages parmi les bombardiers, surpris quasiment sans escorte. Vingt-cinq appareils du JV 44 sont équipés de roquette R4/M[3], ils abattent à eux seuls 77 bombardiers pour 3 pertes. Les R4/M ont une trajectoire similaire à celle des canons MK 108 de 30 mm, en conséquence le nouveau viseur Revi 16B adapté à ce canon a été utilisé de manière très efficace. Pour la première fois, les alliés sont confrontés à des « missiles » air-air.

Les pertes alliées s’élèvent à 681 appareils détruits ou endommagés contre 532 pour les Allemands.
Extrait d’interview de Lester Moss[4], mitrailleur à bord d’un B-17 |
« Je n’étais pas là depuis longtemps, je n’avais jamais croisé de jet allemand. On m’en avait parlé bien sûr, mais je n’imaginais pas ça. Au début, on a été attaqués par des chasseurs conventionnels, BF-109 et Fw-190. Ils étaient incroyablement nombreux. À croire que tous les chasseurs allemands s’étaient donné rendez-vous ce jour-là. Du coup, notre escorte s’est éparpillée pour les combattre, mais les choses se passaient plutôt bien. Quelques minutes plus tard, les choses se sont gâtées. Les fameux jets allemands sont sortis des nuages au-dessus de nous. Ils faisaient des passes rapides et ne s’attardaient jamais. Ils étaient tellement rapides que je ne crois pas en avoir touché un seul. Ils arrivaient, mitraillaient puis disparaissaient dans les nuages avant de réapparaitre ailleurs et de descendre un autre bombardier. Aussi incroyable que ça puisse paraitre, on s’en est sortie vivant. Bien sûr, on avait été touché. Et pas qu’une fois. Mais aucun dégât-critique. Finalement, après trente minutes de massacre le repli a été ordonné, mais on a encore été harcelé sur le chemin du retour. Heureusement, une partie de notre escorte était revenue nous protéger. Je peux vous dire qu’après le 1er janvier toutes mes missions m’ont semblé tranquilles. » |
Une victoire à la Pyrrhus
Sur l’ensemble de l’opération les pertes alliées s’élèvent à 851 appareils détruits ou endommagés contre plus de 800 pour les Allemands. Les pertes alliées sont remplacées en moins de trois semaines alors que celles des Allemands ne le seront jamais.
Le pire pour les Allemands c’est que les bombardements stratégiques diurnes des Américains ne sont interrompus que pendant deux semaines. Ces derniers décident d’engager massivement les B-29 Superfortress qui attendaient leurs assignations depuis la fin de la guerre du pacifique, front auquel ils étaient prioritairement destinés.
Aufstieg, dernier sursaut d’ampleur d’une Luftwaffe à l’agonie, est à ce titre la pire des calamités connues par cette aviation ayant vécu des heures glorieuses. Dès lors, une blague se répand au sein de l’armée allemande : « Quand tu vois un avion le jour, c’est l’US Air Force. Quand tu vois un avion la nuit, c’est la RAF. Quand tu ne vois pas d’avion, c’est la Luftwaffe ».
[1] Fictif.
[2] Il est l’as allemand au palmarès le plus fourni. Il est souvent dit qu’il était plus fier du fait qu’il n’ait jamais perdu un ailier au combat que de son palmarès d’avions abattu.
[3] La fusée R4/M (allemand : Rakete, 4 Kilogramme, Minenkopf) surnommée Ouragan (allemand : Orkan) en raison de la traînée de fumée distinctive lors de son tir a été la première fusée air-air de l’Histoire de l’aviation. Elle a été développée par le Reichsluftfahrtministerium au cours de la Seconde Guerre mondiale et utilisée à partir de janvier 1945.
[4] Fictif.
2 commentaires sur “La bataille aérienne la plus sanglante de la guerre en Europe”