Le calme avant la tempête

Extraits de « Les Shoguns de l’Ombre : Kido et Yamamoto mettent fin à la guerre du Pacifique »— Shichiro Shoryu & Eugene Thornton — Édition Ackerman.

Tōjō et le malade imaginaire

Le 18 décembre 1942, lors d’un Conseil suprême de guerre, Hideki Tōjō apprend, d’une letttre de l’Empereur, lu par le gardien du sceau privé du Japon Kōichi Kido, d’importants remaniements sur le front. Surtout, suite aux échecs de l’Armée à Guadalcanal, les opérations dans le Pacifique, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Salomon passent sous la responsabilité exclusive de la Marine. Hideki Tōjō profite de l’absence de l’Empereur au conseil ce jours là pour faire entrendre son mécontentement sur un ton dont il n’aurait certainement pas oser faire usage devant l’Empereur. Il est furieux de ne pas avoir été consulté alors qu’il est Premier ministe et ministre de la Guerre.

Tōjō « exigeât » alors de rencontrer l’Empereur, mais se heurta à un mur appelé Kōichi Kido. Ce dernier justifia « l’Empereur malade et contagieux ne veut pas courir le risque de contaminer le chef de l’Armée ». Pire, jusqu’à nouvel ordre, l’Empereur délègue sa précense au Conseil suprême de guerre du Japon et au quartier général impérial au gardien du sceau privé Kido et Prince Nobuhito Takamatsu. Lorsque Tōjō demanda des explications, Kido lui expliqua que « malgré les efforts de la Marine, l’Armée avait subi un échec intolérable à Guadalcanal » et que dorénavant l’Empereur s’occupera lui-même de la conduite de la guerre. « Sa Majesté ne s’est pas expliqué devant vous un simple sujet, vous voudriez qu’elle revienne sur sa décision ? » De facto, le Conseil suprême de guerre du Japon et le quartier général impérial ne serait plus des espaces de débat, souvent houleux, mais des organes d’executions et de remonter d’information. Comme le laissera entendre le journal du Prince Takamatsu découvert en 1991, la conduite de la guerre était maintenant aux mains d’un organe secret et informel constitué de ce que l’Histoire appelera la faction Heiwa.

Avec le recul, certains pourraient se demander pourquoi l’Empereur n’a tout simplement pas déposé Tōjō. Le fait est que ce dernier ne manquait pas d’alliés — notamment le général Korechika Anami — et que tant que le plan de la Marine n’était pas prêt à être exécuté, il était encore possible pour eux de déposer ou tuer l’Empereur. Kido ne voulait prendre aucun risque. L’incident de Tōkyō lui donnera raison.

Tōjō se voit donc imposer les décisions suivantes : les généraux Shunroku Hata et Kanji Hishiwara prennent la tête des troupes en Mandchourie et en Chine avec un commandement unifié. Leur mission est de réduire et stabiliser le front qui est par la même occasion qualifiée de « gaspillage de ressources »  pour transférer des troupes en Birmanie. Le front birman passe sous les ordres Tomoyuki Yamashita qui une fois ses renforts arrivés devra se coordonner avec la Marine pour lancer une grande offensive en Inde afin de déstabilisé les Britanniques et couper la route de Birmanie. La stratégie de la Marine visant à réduire les fronts dans le Pacifique est donc pleinement approuvée, ainsi que le plan visant à attirer les Américains dans une bataille navale décisive dans les Mariannes.

Ces nominations sont une véritable gifle pour le général Tōjō, puisqu’il se voit imposer des généraux, Ishiwara et  Yamashita, qu’il avait lui-même écarté voir même traité comme des ennemis politiques. Rappelons qu’Ishiwara avait été placé en retraite et était sous surveillance de la Kenpeitai jusqu’à à ce qu’il se retire dans son village natal. Quant Yamashita, il avait été envoyer couler une « retraite anticipée » en Mandchourie par le Premier ministre Tōjō suite à une « maladresse » lors d’un discours tenu à Singapour dans lequel il considéra la population locale comme « citoyen de l’Empire du Japon ».

Ishiwara et Yamashita se prêtent des pions

Le 23 décembre 1942, Yamashita arrive à Rangoon et prend la tête de l’Armée de Birmanie. À la même date, Ishiwara arrive en Mandchourie et met en place le nouveau commandement unifié avec Shunroku Hata.

Sur le théâtre birman, Yamashita ne dispose que des 18ème, 33ème et 56ème Divisions d’Infanterie de la 15ème Armée. Il va recevoir le renfort de la 5ème Division aérienne (une escadrille de Ki-43, deux escadrilles de Ki-38 et une escadrille de G4M) originellement basé à Saigon. La 2ème Division d’Infanterie (basé en Indochine) doit traverser la Thaïlande pour assurer les arrières des troupes déjà présentent en Birmanie. La 11ème Armée « Ro » (58ème Division d’Infanterie, 22ème et 88ème Brigade mixte d’Infanterie) qui vient de passer sous le commandement du Lieutenant-Général Isamu Yokoyama est retirée du front chinois pour la Birmanie. La 3ème Division blindée « Taki » est elle aussi envoyée en Birmanie, avec le renfort des 3ème, 4ème, 9ème et 16ème Brigades mixtes d’Infanterie. Reste à se coordonner avec la Marine pour le transport des troupes.

Enfin, Yamashita va mettre à profit la 1ère Division de l’Azad Hind, l’Armée Nationale Indienne. Dès que les cibles japonaises en Inde seront tombées, l’Azad Hind sera chargé d’occuper le terrain. Ainsi les Japonais passeront plus pour des libérateurs que pour une armée d’occupation.

Pendant ce temps, Ishiwara organise la réduction du front en Chine tout en assurant la protection de la zone de Nankin et la frontière avec l’Indochine. Les troupes de la région de Wuhan et Anqing se retirent du front, mais les garnisons du Hainan, de Hong Kong, du Guangdong, de Xiamen, de Fuzhou et de Wenzhou restent en place. La ligne de front dessinée par Ishiwara va courir du territoire Communiste jusqu’à Shanghai en une quasi-ligne droite.

D’après les mémoires d’Ishiwara, lorsque qu’Hata lui demanda ses espérances après la réduction du front et l’envoie des troupes en Birmanie, ce dernier répondit : « La stratégie du vide. Si leur ennemi commun se retire, Tchang Kaï-Chek et Mao vont s’affronter pour le contrôle des territoires que nous avons quittés. Le Front uni chinois va s’effondrer et la guerre entre Tchang Kaï-Chek et Mao ne tardera pas à reprendre. Et vu les capacités des troupes communistes, il est très probable que Mao l’emporte. Je serais même prêt à l’y aider sir, je le pouvais.»

Le plan indochinois

Kanji Ishiwara demande à l’ambassadeur japonais en Indochine Kenkichi Yoshizawa « d’apaiser les tensions » avec les Việt Minh. La 38ème Armée qui occupe ce territoire français ayant été obligé de céder ses moyens aériens au profit du front birman, le Lieutenant-général Kazumoto Machijiri reçoit l’ordre de se concentrer sur la protection de Saigon et Hanoi ainsi qu’assister les troupes japonaises du sud de la Chine pour bloquer la frontière entre l’Indochine et la Chine.

Yoshizawa est chargé de prendre contact avec Hồ Chí Minh pour négocier une future sortie en douceur des troupes japonaises et laisser les alliés face à l’indépendance indochinoise à la fin du conflit. Toutefois, même si ce n’est pas le sujet du livre, ce dernier point ne sera pas tout à fait le succès escompté pour les Japonais.

La forteresse de Saipan

À la demande de la Marine, une grande partie des troupes retirées des Salomon ont été envoyées à Saipan. Le Lieutenant-Général Tadamichi Kuribayashi doit transformer l’île en véritable forteresse. Il va faire creuser les fortifications à flanc de falaise, y compris des hangars à avions, et de nouvelles pistes d’aviation vont être tracées. Les travaux dureront neuf mois.

De nos jours, les fortifications restent un endroit très visité de l’île de Saipan, notamment le réseau de tunnels reliant l’ensemble du système défensif de l’île.

Ces fortifications sont généralement surnommées « les fortifications de Kuribayashi ».

La marine panse ses plaies et déménage

La marine doit encore se remettre des pertes des opérations dans les Salomon et mettre en pratique une leçon durement apprise : renforcer les moyens antiaériens et le nombre de radars sur ses navires de surface. Les navires reçoivent des canons de 128 et 25 mm ainsi que des radars Type 21, 23 et 13. L’installation de ses éléments se fera tout au long de l’année 1943. Ainsi les deux cuirassés de la classe Yamato reçoivent des canons grand-angles de calibre 127 mm et des canons de 88 basés sur des transferts de technologies allemandes.

Enfin, décision est prise d’imiter le système allié de convois navals. Toutefois, la marine japonaise n’a pas les mêmes moyens de lutte anti-sous-marine. Il est donc nécessaire d’équiper des escorteurs et des destroyers le plus rapidement possible.

Il lui faut aussi reconstituer ses groupes aériens. Surtout que la Marine prépare un groupe aérien de 300 bombardiers, sous le commandement de Minoru Genda, spécialisés dans un nouveau type d’attaque : le Skip Bombing. Ce dernier est une technique de bombardement naval par ricochet utilisé par plusieurs belligérants du deuxième conflit mondial. Les bombardiers volent à très basse altitude avant de larguer 2 bombes de 250 kg généralement réglés pour exploser au bout de 4 à 5 secondes. Les bombes ricochent sur la surface de l’eau jusqu’au flanc du navire et explosent. Les bombes utilisées pour le skip bombing sont des bombes classiques auxquelles les cônes de queue ont été retirés. Durant les essais, à cause de la vitesse d’impact engendrée par les ricochets, certaines bombes traverseront même la coque de certains navires-cibles avant d’exploser. La Marine Impériale Japonaise utilisa des Mitsubishi G4M1 et G4M2 pour son escadrille spécialisée « Hazumi ».

G4M2 s’entrainant au Skip Bombing au large de Saipan.

Enfin, la base de la Flotte combinée à Truk déménage à Palau. La Marine y regroupe ses forces navales et aériennes tout en restant au plus près de la nouvelle ligne de front. La seule perte japonaise au cours du « Grand Déménagement de la Marine » est la destruction d’un navire de transport chargé d’évacuer les civils de l’archipel.

Navires de la Flotte combinée à Palau.

Carte du retrait japonais

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3 commentaires sur “Le calme avant la tempête

  1. Deux fautes de frappes :
    Hideki Tōjō profite de l’absence de l’Empereur au conseil se jours là pour faire entrendre son mécontentement sur un ton dont il …aurait certaienement …. oser faire usage devant l’Empereur

    Ces nominations sont une véritable gifle pour le général Tōjō, puisqu’il se voit imposer des  »génréaux, »

    Aimé par 1 personne

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