L’Amérique décide de passer à l’attaque

Extraits de « Les Shoguns de l’Ombre : Kido et Yamamoto mettent fin à la guerre du Pacifique » — Shichiro Shoryu & Eugene Thornton — Édition Ackerman.

On peut penser que c’est le 30 juillet 1943 à Oahu que la guerre du Pacifique s’est jouée, c’est ce jour-là que les États-Unis d’Amérique ce sont dirigés dans le piège tendu par la Marine impériale japonaise. D’après le Graybook de Chester Nimitz, ce jour-là, le Président Franklin D. Roosevelt et le Secrétaire d’État Cordell Hull sont arrivés à l’aéroport d’Hickam pour rencontrer le Général Douglas MacArthur et les amiraux Ernest J.King et Chester W.Nimitz. Le but de cette rencontre : décider de l’axe d’attaque américain. En effet, après l’opération TA, les Britanniques se sont rendu compte de l’acheminement massif de renforts japonais en Birmanie. Combiné à la destruction de la moitié des avions britanniques au Bengale, il devient clair pour les Alliés que le risque d’invasion des Indes britanniques est réel. Winston Churchill fait alors savoir qu’« Il est urgent pour l’US Navy de s’occuper de la marine japonaise qui ne cesse de se dérober » et ainsi réduire la menace qui pèse sur les Indes.

Deux plans s’opposent. Le premier, celui de MacArthur est de libérer les Philippines puis Taiwan et Okinawa pour couper le Japon du reste de ses conquêtes. Le deuxième, celui de la Navy, est de conquérir le pacifique central et l’île de Saipan, pour y baser les futurs bombardiers B-29 de l’USAAF et écraser le Japon sous un tapis de bombes. MacArthur, mets en avant « le devoir moral de libérer les Philippines ». Alors qu’au sein de la Navy, deux courants s’opposent : Nimitz souhaite attendre la fin de la reconstitution de la flotte du Pacifique, ce qui permettrait éventuellement d’attaquer sur les deux axes. King soutient que l’US Navy a les moyens de prendre Saipan et explique que les B-29 pourront atteindre l’ensemble des zones clés du Japon. En suivant le plan de MacArthur, seule l’île de Kyushu sera à portée des bombardiers. De nombreux éléments donnent alors raison à l’Amiral King puisque l’évacuation japonaise des Salomon, de la Papouasie-Nouvelle-Guinnée, des îles Gilbert et des îles Marshall ouvre littéralement la voie du Pacifique Central aux forces américaines. De plus le positionnement des Mariannes en fait des îles assez isolées, si elles sont plus proches des positions japonais et du Japon lui-même que des lignes américaines il n’y a pas d’autres positions japonaises alentours qui permettraient d’en appuyer la défense. Une fois les îles Mariannes prises d’assaut, elles seront coupées du Japon et impossibles à soutenir. Enfin, en plus d’une base pour les B-29, King juge opportun et tout à fait faisable d’y installer des bases de sous-marins qui permettrait d’attaquer les voies de ravitaillement vers l’Asie du Sud-est et de menacer celles vers la Chine, affaiblissent de ce fait les autres fronts du conflit en Asie-Pacifique. Rapidement, le plan obtiendra le soutien des planificateurs de l’armée de l’air américaine qui confirmeront que les terrains d’aviation de Saipan sont suffisamment grands pour permettre les opérations des B-29. De plus contrairement à une alternative basée en Chine, Saipan n’est pas exposée aux contre-attaques japonaises. Cependant, le général Douglas MacArthur s’oppose vigoureusement à tout plan qui retarderait son retour aux Philippines. Ses objections ont été acheminées par les voies officielles et ont contourné les chefs d’état-major interarmées, faisant appel directement au secrétaire à la Guerre Henry Stimson et au président Franklin D. Roosevelt.

Finalement, c’est le Président Roosevelt qui va trancher la décision en faveur de l’Amiral King dont la vision est à la fois convaincante et permet aussi de donner une réponse à moyen terme aux appels à l’aide de l’Empire britannique. La nouvelle sera annoncée à Churcill à la conférence du Caire de 1943, une fois l’élaboration du plan américain suffisamment avancé. Selon Cordell Hull, un autre élément qui a joué contre MacArthur est son célèbre « Je reviendrais » prononcer lors de l’évacuation des Philippines. Roosevelt estimait que « Mac » s’était substitué à l’autorité du Président en tenant ces propos. Seul le Président peut ainsi exprimer la volonté des États unis. L’US Navy allait donc devoir se frayer un chemin jusqu’à Saipan, les Philippines attendraient leur tour.

La photo de l’année 1943

Un dernier élément a motivé la décision du Président Roosevelt d’accélérer les opérations offensives dans le Pacifique. D’après les services de renseignement américains, les Japonais sembleraient être prêts à « s’arranger » avec les communistes en Chine et en Indochine.

Premièrement : d’après les renseignements obtenus par le Détachement 101 de l’OSS, Kenkichi Yoshizawa, ambassadeur (jusque-là symbolique) en Indochine, aurait rencontré des émissaires de Hồ Chí Minh. Cette rencontre a eu lieu alors que ce dernier venait de reprendre la tête du Viêt Minh et était entré en contact avec l’OSS afin d’obtenir armes et munitions pour combattre l’occupant japonais. D’après l’OSS, le but de Yoshizawa serait de négocier une sortie en douceur des troupes japonaises et laisser Hồ Chí Minh s’emparer du pays.

Deuxièmement, toujours selon les mêmes sources, le Général Kanji Ishiwara aurait rencontré à Yan’an le leader des communistes chinois Mao Zedong. Une photo, l’un des plus célèbres de l’année, prise par Michael Lindsay[1], en témoigne. Lindsay est en ressortissant britannique qui était maître de conférences à l’université de Yenching à Peiping avant que n’éclate la Guerre du Pacifique. Grâce à son statut protégé de citoyen étranger, Lindsay commença à faire passer clandestinement des fournitures radio et médicales aux communistes, qui résistaient à l’occupation japonaise. Ayant besoin d’une personne parlant le chinois, il recrute donc son étudiante, Hsiao Li, qu’il finit par épouser. À la suite de l’attaque de Pearl Harbor, Lindsay devient citoyen d’un État ennemi et peut donc être arrêté, mais il parvient à s’échapper avec son épouse. Pendant les quatre années suivantes, ils ont agi derrière les lignes ennemies. Lindsay a alors travaillé au département radio des communistes, puis à l’Agence de presse China News.

D’après Arthur Schlesinger dans « L’ère de Roosevelt », Cordell Hull a utilisé ces informations pour faire envisager au Président la possibilité de négocier avec les Japonais : « Si les Japonais s’entendent avec Mao c’est toute la Chine qui s’effondrera et tombera aux mains des communistes. Nous avons dépensé plus d’un milliard de dollars pour aider Tchang Kaï-Chek et tout cela risque d’être perdu. Nous devons attaquer et ramener les Japonais à la table des négociations. » Dans cette démarche, Cordell Hull se trouve un soutien très actif en la personne de son assistant spécial au département d’État Leo Pasvolsky. Ce dernier faisait partie de ceux trouvant l’exigence de reddition sans condition émise à la conférence de Casablanca en janvier 1943 « quelques peut excessives ». De plus, contrairement à ce qui est connu du grand public, l’exigence d’une reddition sans condition des forces de l’axe ne faisait pas totalement l’unanimité que ce soit entre puissances alliées ou même au sein de l’administration américaine. Ainsi, Drew Middleton, correspondant du New York Times, qui se trouvait à Casablanca lors de la conférence, a révélé plus tard dans son livre Retreat From Victory que Churchill avait été « surpris par l’annonce publique de la capitulation inconditionnelle. Qu’il essayé de cacher sa surprise. » Selon l’ancien ambassadeur américain en Union soviétique Charles Bohlen, « la responsabilité de cette doctrine de reddition inconditionnelle presque exclusivement au président Roosevelt ». Selon lui Roosevelt a fait cette annonce « pour maintenir les forces soviétiques engagées avec l’Allemagne sur le front russe, épuisant ainsi les munitions et les troupes allemandes » et aussi « pour empêcher Staline de négocier une paix séparée avec le régime nazi ». Selon, pour cette raison, « La paix de Manille fut vécue comme une véritable trahison par Staline et fut l’amorce de la Guerre froide. »

De fait, le plan des « pacifistes » japonais se déroulait globalement comme ils l’avaient prévu.

Une photo qui reste mystérieuse

Même aussi longtemps après la fin de la guerre, personne ne sait réellement ce qui s’est dit lors de cette rencontre ni dans quelles circonstances elle a été organisée. Ni Mao ni Ishiwara n’ont jamais donné de détails sur cette mystérieuse entrevue. Quant à la photo, prise et développée dans de mauvaises conditions, sa qualité ne permet pas d’en tirer grand-chose.

Le seul à en avoir parlé est son auteur Michael Lindsay. Malheureusement, personne ne peut confirmer ses propos puisque d’après lui, la visite du général japonais n’était pas planifiée. Aussi, à la demande de Mao Zedong, il fut le seul témoin de leur discussion. Et témoin est bien grand mot, puisque s’il a été autorisé à prendre des photos, il n’a pas été autorisé à assister directement à leurs échanges. D’après Lindsay : « Ishiwara est arrivé en camion — arborant un drapeau blanc — et quatre soldats assuraient sa sécurité en plus des deux chauffeurs. Interceptés par les troupes communistes, ils ont remis leurs armes à leurs “hôtes” sur ordre du Général qui a alors demandé à parler à Mao. […] Lors de leur rencontre, ils sont restés polis, mais ne se sont jamais regardés une seule fois dans les yeux et le ton est resté glacial. Un étrange mélange de respect et de méfiance. […] Le seul élément de conversation que j’ai entendu était d’Ishiwara, il disait que Mao était le leader naturel de la Chine, car il avait à cœur la prospérité et l’indépendance de son peuple. Tchang Kaï-Chek ne se souciant que de son pouvoir personnel. » Les spéculations non vérifiables d’après guerre laissent entendre qu’Ishiwara aurait tout simplement annoncé à Mao Zedong qu’il prévoyait de céder des territoires aux communistes dans le cadre des manœuvres japonaises de désengagement du front. Tout comme il l’aurait informé de la tentative de couper la roue de Birmanie ravitaillant les troupes de Tchang Kaï-chek. Au final la rencontre n’est peut-être qu’un jeu de manipulation. Ishiwara espérait que les craintes liées à une défaite de Tchang pourraient faire bouger les Américains. Mao, en prétendant jouer le jeu des Japonais se retrouveraient avec des gains significatifs sans jamais avoir à concéder quoi que ce soit. Il est donc probable que ce soit Mao qui est fait sortir de Chine la photo prise par Lindsay. Surtout, comme nous le verrons plus tard, dans cette histoire le dirigeant communiste est celui qui a le plus, si ce n’est tout, gagné.


[1] Michael Francis Morris Lindsay, 2ème Baron Lindsay of Birker (24 février 1909 – 13 février 1994).

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3 commentaires sur “L’Amérique décide de passer à l’attaque

  1. L’Asie et ses mystères…
    Deux lapsus :
    De nombreux éléments donnent alors raison à l’Amiral King puisque l’évacuation japonaise des Salomon, de la « Papouaise-Nouvelle-Guinnée »,

    il prévoyait de céder des territoires aux communistes dans le cadre des manœuvres japonaises de  »désengagent »

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