Le sursaut allemand

Extrait de « Zugzwang : L’Allemagne échec et mat » — August Clauswitz — Autoédition.

Le sursaut allemand trouve son origine dans les réunions qui se tinrent à un rythme quasi frénétique dans les dix à quinze jours suivants le renversement du régime nazi. Les propos de ces réunions étaient la réorganisation des fronts, le retour à une industrie plus rationnelle, l’abandon des Wunderwaffe[1] et l’ébauche des premières propositions de paix aux Alliés. Enfin, il fallait se pencher sur la question des camps de concentration et d’extermination.

Résumons donc ici les principales idées et décisions qui en ressortent.

Réorganisation des fronts et commandement

La réorganisation des Fronts fut tranchée dès le 23 juillet 1944 lors d’une grande réunion d’État-major au cours de laquelle les nouveaux commandements furent établis et ainsi que la nouvelle stratégie visant à arrêter l’avancée ennemie.

Oberbefehlshaber West, France et Benelux) :

Erwin Rommel le légendaire renard du désert fut nommé commandant en chef du front ouest. Il était partisan d’une guerre de mouvement mettant à profit les lignes d’arrêts créées par les fleuves et reliefs, cette tactique permettrait alors de raccourcir les lignes logistiques allemandes. Walter Model prônait au contraire la stratégie des « Forteresses » (Festung en allemand), il voulait retrancher les troupes dans les ports et les grandes villes. Il pensait que Paris pourrait tenir au moins trois mois et serait un « Stalingrad sur Seine » pour les Alliés. Rommel, Beck et Goerdeler — entre autres — s’y opposèrent, Beck déclarant « comment voulez-vous que nous puissions négocier la paix avec les Alliés si nous rasons Paris ?! »

Stalingrad sur Seine
L’idée du « Stalingrad sur Seine » de Walter Model sera tout de même exploitée, mais en uchronie.
Les deux plus connus sont « Stalingrad sur Seine : la bataille de Paris » écrit par Marcellin Lambert et un tome de la série BD Jour-J sobrement baptisé « Stalingrad sur Seine ».

Finalement, un compromis fut trouvé, les grands ports de Boulogne, Le Havre, Calais, Brest et Dunkerque devaient être transformés en forteresses et des destructions devaient être préparées pour éviter que les installations ne soient utilisées par les Alliées.

Les ports de La Rochelle, Bordeaux et de la méditerranée furent rendu plus ou moins inutilisable (navires coulés au mouillage, destruction des installations, dynamitage des quais) et une partie de leurs garnisons devait rejoindre la ligne Siegfried. Finalement, l’évacuation n’eut pas lieu, car les Alliés lancèrent l’Opération Anvil Dragoon[2] avant que les troupes allemandes ne se mettent en mouvement.

Paris serait déclaré « ville ouverte » à l’approche des Alliés, mais les ponts de la Seine encore sous contrôle allemand seraient tous détruits.

L’ensemble des militaires — à l’exception de Gerd von Rundstedt — tomba d’accord sur le fait qu’il faudrait détruire systématiquement les ponts et voies ferrées pendant la retraite. Autant pour ralentir l’ennemi que gêner sa logistique.

Les premières lignes d’arrêts importantes (et si possible définitives) seront constituées sur la Somme et l’Oise.

Les U-boots stationnés en France devraient tenter de regagner l’Allemagne pour poursuivre leur opération à partir de ses ports. À partir de ce moment-là, leur mission serait d’attaquer les transports alliés dans la Manche.

Sous les ordres de Rommel se trouvaient notamment Gerd von Rundstedt (Heeresgruppe[3] B), Hans von Kluge — qui remplaçait Johannes Blaskowitz — (Heeresgruppe G) et Albert Kesselring (Heeresgruppe C). Hans von Kluge devait sa nomination à son plan consistant à évacuer le maximum d’hommes et de matériel, y compris les troupes du Heeresgruppe G de Blaskowitz, afin de tenir une ligne de front statique sur le Rhin. Il fut alors décidé qu’il commanderait la défense dont il eut l’idée.

Heeresgruppe C, Italie :

La défense de la ligne Gothic devait être poursuivie le plus longtemps possible. Albert Kesselring prépara tout de même des plans de retraite au cas où la défense finirait par céder. Il envisageait alors de retrancher ses troupes derrière le Pô, mais le cours du fleuve était trop sinueux pour former une ligne de défense efficace. Si les Alliés passaient la ligne Gothic, les troupes allemandes en Italie abandonneraient Mussolini à son sort et se retrancheraient alors dans les Alpes orientales centrales.

Oberbefehlshaber Est, URSS et Europe de l’Est :

L’Oberkommando des Heeres transféra le commandement de l’ensemble des unités du front de l’est à une nouvelle structure : le Oberbefehlshaber Est et Heinz Guderian en garda le commandement. Les principales formations sous ses ordres étaient :

  • Heeresgruppe Nord dont l’évacuation se ferait sous les ordres Johannes Frießner, qui transférait ensuite son commandement à Ewald von Kleist.
  • Heeresgruppe Mitte dont Walter Model confiera le commandement à Erich Von Mainstein.
  • Heeresgruppe NordUkraine dont Walter Model prendra le commandement.

Les troupes allemandes tenaient toujours bon à Narva et l’ensemble du dispositif allemand dans la Baltique était sur le point d’être encerclé. Le Grand-Amiral Erich Raeder — qui remplaçait l’Amiral Karl Dönitz au pied levé — reçut l’ordre d’utiliser les navires de surfaces de la Kriegsmarine pour évacuer le maximum de troupes et de civils[4] vers la Prusse Orientale. Il était évident pour tout le monde que les milliers d’hommes encerclés là-bas seraient plus utiles sur la Vistule en Pologne.

Pour Walter Model, il était tout aussi évident que si l’avancée soviétique en Europe centrale se poursuivait, les Balkans devraient être abandonnés. Des plans furent alors préparés dans cette éventualité. Il était clair que les champs de pétrole de Roumanie et Hongrie devraient être tenus le plus longtemps possible. Dans ce cadre, il fut demandé à Maximilian von Weichs — commandant de l’Oberbefehlshaber Süd — de se concerter avec Model pour coordonner les mouvements des Heeresgruppe NordUkraine et SüdUkraine.

Les canons de 800 mm (80 cm Kanone) Gustav et Dora devaient être acheminés le plus vite possible à Varsovie pour soutenir les troupes allemandes face à l’avancée soviétique.

Le Heeresgruppe E — qui occupait la Grèce et les Balkans — devrait progressivement évacuer ses positions pour ensuite rejoindre les Alpes et le Heeresgruppe C.

Accord secret entre les Allemands et les Titistes
Le 8 septembre, Siegfried Kasche (ambassadeur de l’Allemagne auprès de l’État indépendant de Croatie) signe un accord secret — négocié par l’Abwehr de Sarajevo — avec les Partisans de Tito. Il s’agit d’un moyen de sortir en douceur pour les forces de l’Axe via un cessez-le-feu conditionné qui restera secret, mais sera effectif.
Les conditions sont :
— Un échange des prisonniers pour les deux camps.
— La reconnaissance des Partisans comme force armées régulières (ce qui leur évitera torture et exécution).
— L’arrêt du soutien au Tchetniks serbe royaliste.

Les deux camps respecteront leurs engagements, ce qui permettra aux Allemands de transférer des forces et ressources précieuses pour combattre les troupes soviétiques.
Cela créa une situation étrange où deux camps officiellement en guerre ne se combattent pas.

Front Nord (Norvège et Finlande), Lappland Front et Armee Norwegen :

En Finlande, la 20ème Armée de montagne du Général Lothar Rendulic reçut l’ordre de continuer à tenir ses positions face aux Soviétiques et se replier en Norvège si ses lignes étaient percées.

L’occupation de la Norvège était poursuivie pour protéger les approvisionnements allemands en métaux.

Le sort des U-boots :

Au final, les U-boots pèseront de moins en moins sur le sort de la guerre et les besoins des navires de surface pour les opérations d’évacuations en Baltique conduiront à cannibaliser l’essentielle des ressources destinées aux U-boots. En 1945, certains se verront même retirer leur artillerie et leurs canons antiaériens qui seront transférés sur le front.

La Luftwaffe :

Wolfram Freiherr von Richthofen, cousin du célèbre Baron Rouge Manfred von Richthofen, succéda à Hermann Goering à la tête de la Luftwaffe, il était secondé par Adolf Galland, as titulaire de 404 victoires homologuées dans le conflit en cours. Ce dernier ayant été choisi pour son aura auprès du peuple et des troupes et aussi pour ses idées parfois peu orthodoxes. Lorsque Richthofen renonça à sa fonction le 27 octobre 1944, atteint d’un cancer du cerveau. Galland lui succédant alors.

Rationalisation de l’industrie et abandon des Wunderwaffe

Blindés :

Tous les projets de super chars lancés à l’initiative des nazis furent abandonnés. Les historiens se sont penchés sur la question après la guerre et la décision semble judicieuse. Les usines allemandes avaient déjà du mal à fabriquer des chars Tigre I et II fiables, donc des projets fantaisistes comme les Landkreuzer, Panzer VII « Löwe[5] » et Panzer VIII « Maus[6] » n’aurait été qu’un vaste gaspillage de temps et de ressources. Le prometteur et plus réaliste projet E-50 devant succéder aux Panzer V Panther est lui aussi annulé.

Albert Speer préféra se concentrer sur les modèles déjà éprouvés. Il demanda aux entreprises Henschel et Krupp de se concentrer sur la fiabilisation des panzers « Tiger » et « Königstiger » conçut pour contrer et supplanter les T-34 soviétiques. Les usines MAN quant à elles devaient se concentrer sur la production du Panzer V « Panther » en version ausf. G[7] et « Jagdpanther[8] ». Toutefois, MAN prendra le temps de présenter une version améliorée du Panther au mois d’octobre 1944. La version appelée ausf. F, s’avèrera très performante, mais son arrivée tardive et sa faible production ne suffirent pas à changer le cours de la guerre.

Les avions :

L’avion-fusé Me 163 Komet, pourtant en service depuis mai 1944, fut abandonné, car ses pilotes étaient abattus plus vite qu’ils n’étaient formés. En effet, l’avion était extrêmement vulnérable lorsqu’il terminait sa combustion, puisqu’il était alors contraint de planer jusqu’à sa base. Les Alliés exploitèrent rapidement cette faiblesse à leur avantage.

Les Messerschmitt Bf-109G et Me 262 ainsi que les Focke-Wulf Fw 190 allaient dorénavant constituer l’essentiel de la production aéronautique allemande.

Les fusées et missiles :

Le gouvernement mené par le général Beck décida d’arrêter de bombarder Londres avec les fusées V2, jugeant cela contreproductif dans l’optique d’une paix négociée. De plus, les faibles résultats obtenus par les V2 par rapport à leur coût et leur complexité ne plaidaient pas en faveur du projet. Il fut décidé de maintenir la production des V1 pour s’en servir sur le plan tactique. Par exemple pour cibler, les concentrations de troupes ennemies ou les dépôts de carburants. Cette idée remportera quelques succès, mais ne suffira pas à influencer le cours du conflit. Les analyses d’après-guerre laissent même penser que l’usage des V1 et V2 contre l’Angleterre avait un effet psychologique et stratégique plus intéressant, puisque les alliés étaient obligés de déployer des moyens non négligeables pour s’en protéger. Leur usage au niveau tactique n’eut pas cet effet et les destructions causées sur le front ne furent pas assez importantes.

La production de missiles se concentra sur les missiles air-air R4M et Kramer X4. Ce dernier ne fut jamais déployé au combat, quant au R4M il connut quelques beaux succès, mais ne fut pas décisif.

Au final, la plupart des autres projets de Wunderwaffe furent abandonnés.

Les camps

Le plus gros problème que le gouvernement Beck devait gérer était celui des camps de concentration et d’extermination. Tous les membres du gouvernement et de l’état-major connaissaient leur existence, mais aucun n’imaginait le niveau d’ignominie que les nazis avaient atteint. Claus Von Stauffenberg chargea Werner von Haeften de recenser l’ensemble des camps. Ils furent placés sous le contrôle de la Wehrmacht et des unités de l’Armée de réserve furent envoyées sur place.

Ils y découvrirent avec effroi les horreurs que nous connaissons tous dans les livres d’histoires. L’épisode le plus célèbre est l’entrée du Maréchal Rommel dans le camp de concentration de Natzwiller-Struthof[9]. Dégouté par le sort subi par les prisonniers, il exigea de parler au responsable. Lorsqu’Heinrich Wicker se présenta fièrement devant le Maréchal, celui-ci l’abattit de deux balles dans la tête avant de vider le reste de son chargeur sur la dépouille du SS. Il ordonna que de la nourriture et de l’eau soient immédiatement distribuées aux prisonniers.

Une fois les différents sites sous contrôle, la question problématique fut : que faire des prisonniers ? Les réponses furent différentes selon les catégories de prisonniers :

  • Les prisonniers de guerre durent rester dans les camps. Même les faire travailler pour les usines était trop risqué à cause des risques de sabotage.
  • Les opposants politiques et résistants allemands furent tous libérés en échange de leur engagement à défendre leurs pays, principalement sur le Front de l’Est. Beaucoup se livrèrent à l’ennemi à la première occasion, nombreux furent tués, car envoyé en première ligne avec un niveau d’entrainement insuffisant.
  • Les juifs allemands furent envoyés dans les usines, en échange d’une promesse de salaire cette fois-ci, et sur le front. Dans les usines, à cause de la situation économique du pays, beaucoup ne reçurent pas le moindre Reichsmark.
  • Les juifs venant d’autres pays, les Tziganes et les Slaves durent rester dans les camps. La journée, certains groupes étaient envoyés au travail dans les champs et vergers pour fournir de la nourriture aux camps.

Malgré l’arrêt du processus d’extermination, beaucoup de prisonniers ne survivront pas à la guerre. À cause des bombardements alliés, le rationnement qui affecta de plus en plus l’armée allemande et le peuple allemand fit que les prisonniers durent se contenter de ce qu’ils arrivaient à cultiver à l’abord des camps. Le manque de nourriture, de chauffage et de médicaments causa des milliers de morts dans leurs rangs. De plus, les prisonniers venant des pays occupés par l’Allemagne ne purent tout simplement pas être renvoyés dans leurs pays d’origine puisqu’ils étaient le théâtre de la guerre des Alliés et Soviétiques contre l’Allemagne.


[1] « Arme miraculeuse » est un terme utilisé par la propagande du Troisième Reich pour désigner des armes révolutionnaires censées permettre le renversement de la situation militaire catastrophique.

[2] Débarquement de Provence.

[3] Groupe d’Armées.

[4] Population germanophone de Memel, est une région située autour de l’actuelle ville lituanienne de Klaipėda.

[5] Lion en allemand.

[6] Souris en allemand.

[7] Version la plus courante du Panther.

[8] Version « chasseur de chars ».

[9]  Commune de Natzwiller (Bas-Rhin), France.

Publicité

Un commentaire sur “Le sursaut allemand

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s