Extrait de « Les Shoguns de l’Ombre : Kido et Yamamoto mettent fin à la guerre du Pacifique » — Shichiro Shoryu & Eugene Thornton — Hachette Edition.
Le rôle de l’Empereur Shōwa dans la guerre et avec les crimes commis par l’Armée impériale est discuté depuis des décennies, mais les preuves claires de son rôle ont mis beaucoup de temps à émerger. Plusieurs historiens estiment que l’Empereur Shōwa, en tant que « Chef de l’Etat », est le principal responsable des atrocités commises par ses troupes en Asie. De plus, certains membres de la famille impériale faisaient partie de l’Armée impériale et étaient présents dans des zones ou ces crimes ont été commis. De fait, certains habitants de ces régions ainsi que des historiens pensent que l’Empereur aurait dû être jugé pour crimes de guerre.
La question cruciale est celle du pouvoir effectif exercé par l’Empereur Shōwa sur les militaires japonais durant la guerre. La version la plus communément admise au Japon et en Occident jusque dans les années 1990 le présente comme un spectateur impuissant dans le domaine politique, marginalisé par un état-major militaire tout-puissant et des politiciens bellicistes. Pourtant, en 1971, l’historien Vincente Annunziato dont les principales sources sont les « Mémo Sugiyama[1] », les mémoires de Kōichi Kido et mémoires de Fumimaro Konoe, reconstitue avec force de détail les réunions durant lesquels l’Empereur était informé de la conduite de la guerre. Annunziato en conclut que l’Empereur était très certainement au courant des atrocités commises par ses troupes et n’aurait donc rien fait pour les empêcher. Dans ses mémoires, le gardien du sceau privé du Japon Kōichi Kido dédouanait déjà l’Empereur en expliquant qu’il l’avait poussé à suivre les « bellicistes » de peur que l’Empereur ne soit renversé et tué. Depuis les publications d’Annunziato, d’autres éléments sont venus attester que l’Empereur n’était pas impliqué dans les crimes de guerre. Ces éléments ont été rendus publics par les États-Unis par le « Freedom of Information Act » en 1994. Il s’agit d’une lettre de l’Empereur Shōwa envoyé au Président Roosevelt avant le début des négociations de paix ainsi qu’un enregistrement d’une conversation dans le Bureau ovale entre Roosevelt, Marshall et Hull.
L’Empereur Shōwa Hirohito adresse ses salutations au Président des États-Unis et demande humblement que le contenu de cette lettre soit transmis aux gouvernements des autres membres de l’Alliance.
Pour les trois dernières années, nous avons été enfermés dans une guerre qui a testé la détermination de l’ensemble de nos nations. Les raisons de cette guerre sont nombreuses et peut-être vaudrait-il mieux laisser ce débat aux historiens. Cependant, nous devons nous assurer qu’il y aura un avenir pour nous tous. À cette fin, j’ai pris le risque — avec l’aide d’un petit groupe de « Pacifistes » au sein de notre gouvernement et de nos forces armées — de déposer le gouvernement belliciste du Général Tōjō. Pour empêcher la paix de voir le jour en Asie, ces mêmes bellicistes ont attenté à ma vie.
Vous n’êtes probablement pas sans savoir que certains militaires japonais ont commis des atrocités innommables, notamment en Chine. Bien que je ne les aie pas ordonnées, j’en ai été profondément choqué.
Lorsqu’en décembre 1941, j’ai autorisé l’entrée en guerre contre les États-Unis et la Grande-Bretagne, mon plus proche conseillé m’y a poussé pour préserver ma vie et l’institution impériale. Notre pays était au bord de l’explosion, et les militaires pensaient vous amener à négocier rapidement la fin des embargos et la décolonisation de l’Asie. Depuis l’intervention en Chine, à aucun moment il n’a été question pour moi que des massacres ne soient commis. Une fois informé, ma liberté d’action était trop restreinte pour mettre fin à ses pratiques. L’Amiral Isoroku Yamamoto nous avait pourtant prévenus qu’en attaquant les États-Unis nous allions réveiller un géant endormi et l’emplir avec une vengeance sombre et terrible. Il n’aura fallu que quelque mois pour comprendre la vérité de ses mots.
Vous devez comprendre que le simple fait d’avoir soutenu les pacifistes a failli me coûter la vie. Car les bellicistes du Gouvernement Tōjō étaient persuadés que la guerre pouvait encore être gagnée. S’ils continuent dans leurs plans, notre nation souffrira et cessera d’être une nation. Je ne peux pas permettre que cela se produise. Je suis donc prêt en mon autorité d’Empereur à discuter d’une paix juste et honorable pour nos Nations pour assurer un avenir resplendissant à l’ensemble de l’Asie avec vos représentants, à votre meilleure convenance dans le lieu qui vous plaira.
Il y a cependant une chose que vous devez comprendre. Alors que je peux parler, je crois, pour l’ensemble du Japon, tout le Japon ne parle pas avec moi. L’ancien gouvernement était déterminé à de très rares exceptions à mener cette guerre à une fin ultime et terrible. Ces hommes se sont trompés avec des images d’une victoire qui n’est plus possible et ne l’a probablement jamais été. Aussi je vous demande de m’aider à délier mes mains. Lors des négociations de paix, je vous demande d’exiger absolument que les criminels de guerre et ceux qui ont déclenché cette guerre soient jugés. Le nouveau gouvernement appuiera cette demande et le Japon pourra alors être purifié.
Dans l’enveloppe jointe à cette lettre, vous trouverez les informations concernant la plupart des gens qui ont déclenché cette guerre ainsi que de ceux qui se sont rendus coupables de crimes et de massacres.
Malgré ce que vous pourriez penser, en tant qu’Empereur, je ne suis pas tout-puissant.
L’heure est tardive et mes mains fatiguées. Je vous prie de m’aider à empêcher la destruction de mon peuple. Aidez-Nous à parvenir à la paix maintenant, pendant qu’il est encore temps. Aidez-Nous, à construire un nouveau Japon.
L’Empereur Shōwa Hirohito régnant sur le Trône du Chrysanthème. Cette lettre prouve que Hirohito était au courant des crimes de guerre commis par son Armée, mais elle prouve aussi que l’Empereur avait les mains liées. Il faut savoir aussi que l’Empereur, en plus ne pas avoir à se soucier de la gestion courante de l’Empire, n’était pas un homme intéressé par la politique. Il préférait se consacrer à ses passions : l’ichtyologie et l’océanographie.
[1] Hajime Sugiyama, maréchal dans l’Armée impériale japonaise a aussi été chef d’État-major et membre du Conseil Suprême de Guerre.
Merci pour ce bonus.
Un S oublié au début de la missive impériale :
À cette fin, j’ai pris le risque — avec l’aide d’un petit groupe de « Pacifiste… »
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Bien vue, merci.
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