Extrait de « Les Shoguns de l’Ombre : Kido et Yamamoto mettent fin à la guerre du Pacifique » — Shichiro Shoryu & Eugene Thornton — Édition Ackerman.
« En ce 16 août, j’étais ravi de retrouver ce bon vieux Yonai. Nous nous sommes assis autour d’un plat de Tofu dans le quartier d’Asakusa. En d’autres temps, cela aurait été un moment de détente, mais les discussions que nous allions mener ici assombrissaient clairement l’ambiance ». C’est ainsi qu’Isoroky Yamamoto introduit dans ses mémoires ses retrouvailles avec l’ancien premier ministre et amiral Mitsumsa Yonai, qu’il retrouve quelques heures seulement après sa rencontre avec le général Ishiwara.
Dans ses mémoires, Yamamoto donne très peu de détails sur sa conversation avec Yonai. Après avoir attentivement écouté le plan, Yonai aurait commencé par citer Sun Tsu : « Il n’y a pas d’exemple d’une nation tirant des bénéfices d’une guerre prolongée. Avant d’expliquer : l’histoire ne manque pas d’exemples de nations et d’empires qui ont gagné des guerres pour ensuite sombrer et disparaître, alors que bien souvent les perdants rebondissent et prospcouèrent. Le peuple se berce d’illusions pendant qu’on lui fait croire au grand destin impérialiste qui masque un autoritarisme militaire nauséabond. Si le Marquis Kido approuve votre plan, vous pourrez compter sur moi ».
Le 17 août 1942, Yamamoto tenait une réunion « secrète » au chantier naval de Yokosuka. Durant cette réunion furent peaufinés les plans de retrait du Pacifique. Étaient présents : le Vice-amiral Takijiro Ōnishi, l’Amiral Soemu Toyoda, le Vice-amiral Seichi Itō et le Vice-amiral Shigeyoshi Inoue. Ils travaillèrent sur les plans de l’opération KE et de l’opération AL. L’opération KE était le plan d’évacuation de Guadalcanal, qui sera tôt ou tard inévitable. L’opération AL était le plan d’évacuation des îles Aléoutiennes, avec l’échec de Midway ces îles étaient devenues inutiles. Yamamoto souhaitait que les troupes soient évacuées avant l’hiver, qui dans cette région était extrêmement rude.
C’est durant cette réunion enfin qu’un invité inattendu entra dans la pièce sans prévenir : le Marquis Kido. Il salua l’ensemble des hauts gradés présents qui lui rendirent la pareille. Il pressa alors ses interlocuteurs et hôtes, arguant que « tromper la vigilance de Tōjō n’est pas de tout repos ». Les officiers de la Marine étaient tous surpris par cette visite impromptue, Yamamoto le premier, car son « coursier » était revenu sans réponse de la part du Gardien du sceau privé du Japon. Kido expliqua cette impolitesse par sa prudence à l’égard du général Tōjō et ses espions de la Kempeitai.
Yamamoto exposa alors le plan de retrait dans le Pacifique et le début de plan élaboré pour la Chine et la Birmanie. D’après les mémoires de l’amiral « Kido écouta attentivement sans dire mot ». Puis, pour finir, Yamamoto exposa ses requêtes qu’il restitue ainsi : « Marquis, nous avons besoin que l’Empereur ordonne la réintégration du général Ishiwara dans l’Armée et qu’il soit placé à la tête des troupes de Mandchourie aux côtés du général Hata[1]. Il faudra que le général Yamashita soit nommé commandant de l’ensemble de forces en Birmanie. »
La réponse du Gardien du sceau privé du Japon nous éclaire alors sur une situation plus compliquée qu’il n’y parait, notamment en ce qui concerne l’Empereur du Japon et surtout le rôle de Kido lui-même : « si je comprends bien, vous souhaitez que l’Empereur approuve votre plan et mette fin à la guerre ? Sachez que même si l’Empereur assiste à la plupart des réunions de l’État-Major, il ne souhaitait pas cette guerre. Plusieurs d’entre vous ici présent ont étalé publiquement leur opposition à cette guerre et ont vu leurs vies menacées. Cette guerre, l’Empereur l’a accepté parce que je lui ai demandé de le faire. »
Devant une assemblée interloquée, Kido précisa la situation : « Qui a soutenu l’Armée ? La presse, les médias. L’opinion publique. À l’époque, si je n’avais pas poussé l’Empereur à approuver cette guerre, c’est sa vie qui aurait été menacée. Céder à l’Armée n’était pas la meilleure solution, mais elle permettait de préserver la vie de l’Empereur. Si vous voulez que j’approuve votre plan, il va falloir me donner les moyens de protéger Sa Majesté et d’éviter une guerre civile. » Pour le lecteur occidental peu averti, un coup d’État contre l’Empereur peut sembler improbable, mais sur la seule période des années 1930 le Japon a connu cinq « coups » et « incidents » dont l’incident du 26 février 1936 n’est que le plus connu.
Yamamoto lui donne la garantie suivante « Si vous nous autorisez à lancer la première phase du plan[2], nous pourrons utiliser les Rikusentai[3] pour assurer la protection de l’Empereur et des lieux clés du pouvoir. » Avec le recul dont nous disposons, cela parait bien modeste à la vue du contexte, pourtant, cela fut jugé suffisant par Kido qui répondit « … voici ce que je vous propose, assistez au maximum l’Armée à Guadalcanal. Quand l’échec deviendra flagrant, je — autrement dis l’Empereur — vous “donnerais” le commandement des opérations du pacifique sud et c’est l’Armée qui se retrouvera en position de vous “assister”. Tōjō perdant du crédit avec l’échec de Guadalcanal ne pourra s’opposer aux nominations d’Ishiwara et Yamashita. » Face à des amiraux satisfait et soulagé, il ajouta « Comprenez que je mets la famille impériale en danger en disposant ainsi de l’Empereur. Toutefois, sachez que l’Impératrice Teimei[4], les Princes Nobuhito Takamatsu[5] et Naruhiko Higashikuni[6], Yasuhiko Asaka[7] et l’ancien Premier ministre Fumimaro Konoe sont, eux aussi, opposés à la guerre et auront sûrement un rôle à jouer dans tout cela. Nous risquons une guerre civile. » Comme l’Histoire le prouvera, les craintes de Kōichi Kido n’étaient pas totalement infondées, mais c’est ainsi que le Marquis devint l’un des principaux artisans du « Coup d’État de la Marine ». La Faction Heiwa[8] venait de voir le jour, bien que ce nom ne fût utilisé qu’après la guerre.
[1] Shunroku Hata.
[2] L’amiral parle ici du retrait du Pacifique Sud.
[3] Forces Spéciales Navales de Débarquements et Forces Spéciales Parachutistes de la Marine.
[4] La mère de l’Empereur.
[5] L’un des frères de l’Empereur
[6] Qui dirige le Commandement général de défense
[7] Un oncle de l’Empereur.
[8] Heiwa, paix en japonais.