Trinity, précurseur de la téléréalité

Article de funkyweb.com, 12 décembre 2012, Thomas Ruelle.

Alors que nous évoquions il y a quelques semaines la série d’œuvres « Atomic Overlook » de Clay Lipsky et le retour en force du morbide « tourisme atomique », il est temps de revenir sur la première explosion nucléaire de l’histoire : Trinity.

Voir : Clay Lipsky – Atomic Overlook

Trinity n’est-il pas le précurseur de la téléréalité ? Ce moyen de détente malsain où l’on regarde des débiles se donner en spectacle. Certes, une explosion nucléaire n’est pas débile en soi, mais le spectacle qui fut organisé autour de l’évènement n’est pas moins malsain que de regarder le quotidien des sœurs Kardashian.

Préparer le show

Le 7 mai 1945, un premier test a lieu près d’Alamogordo au Nouveau-Mexique. L’armée fait exploser 108 tonnes d’explosifs mélangés à des particules radioactives pour calibrer les instruments et tester le matériel de diffusion. Le test permettra de mettre en évidence quelques petits problèmes qui seront tous réglés pour le grand show.

Le public

En plus des personnels du projet Manhattan et des 215 soldats de la police militaire, 200 spectateurs triés sur le volet furent invités. Il s’agit généralement de proche du personnel, mais aussi quelques cadors de la politique comme Georges Marshall, Douglas MacArthur et le Président Harry Truman en personne.

Prêt pour le show

Les observateurs prirent les paris sur les résultats de l’essai. Edward Teller était le plus optimiste en prédisant une puissance de 45 kilotonnes de TNT. En conséquence, il porta des gants, des lunettes de soleil sous les lunettes de soudeur fournies par le gouvernement ainsi que de la crème solaire, ce qui inquiéta une partie des observateurs présents. Pour prolonger le malaise, Enrico Fermi offrit de prendre des paris sur la possibilité que l’explosion enflamme l’atmosphère, et si cela était le cas, si seul l’État ou toute la planète serait incinérée.

Les prises de vue photographiques de l’essai furent réalisées par une cinquantaine de caméras et d’appareils pouvant prendre jusqu’à 10 000 images par seconde. Un spectromètre rotatif placé à 9 100 mètres réaliserait l’analyse du spectre électromagnétique, tandis qu’un second, plus lent, suivrait la boule de feu. Des caméras furent également placées dans des abris à seulement 730 mètres de la tour, derrière des plaques d’acier et de verre. Malgré les consignes, certains observateurs amenèrent leur propre matériel photographique. C’est ainsi que le physicien Jack Aeby réalisa l’une des seules photographies bien exposées de l’explosion.

Three, two, one… Detonation

Pour le test, les scientifiques désiraient une bonne visibilité, un faible taux d’humidité, des vents faibles à basse altitude et des vents orientés à l’ouest à haute altitude. Des conditions optimales furent prévues entre le 18 et le 21 juillet. L’essai fut programmé pour le 19.

À 7 h 1 s (± 2 secondes), Trinity explosa avec une puissance d’environ 20 kilotonnes de TNT. Le sable, composé en grande partie de silice, fondit et se transforma en un verre légèrement radioactif et verdâtre qui fut appelé trinitite. L’explosion laissa un cratère de 1,5 mètre de profondeur sur 9,1 mètres de diamètre. Les observateurs rapportèrent que les montagnes alentour furent éclairées « plus brillamment qu’en plein jour » pendant une ou deux secondes, tandis que les personnes présentes indiquèrent que la chaleur « était aussi forte que dans un four ». Le son de l’explosion fut entendu à plus de 160 kilomètres et le nuage en champignon s’éleva jusqu’à une altitude de 12 100 mètres.

Le tout était retransmis en direct à la télévision. Après l’euphorie initiale, Bainbridge dit à Oppenheimer « Maintenant, nous sommes tous des fils de putes », ce dernier, pensif, marmonne alors « Maintenant, je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes ». Trop occuper à regarder le spectacle, ils ne prêtent pas attention aux caméras et journalistes qui ne ratent pas une miette de leurs propos.

Magie de la paréidolie, comme pour participer à cette mise en scène malsaine, le « champignon nucléaire » semble, aux yeux de certains observateurs, prendre l’apparence d’une tête de mort.

Les images font le tour du monde et sont diffusées dans les salles de cinéma. La Une de LIFE est reprise dans la plupart des journaux mondiaux.

Les États-Unis viennent de faire en direct la démonstration de leur puissance.

On peut résumer ce « coup de com » » par « regarder ce qui pourrait vous arriver si vous nous cherchez des poux ».

Pourquoi ?

Pourquoi faire la démonstration publique de cette arme plus tôt que de la garder secrète ? La raison principale est simple : le Président Truman voulait faire comprendre à l’Union soviétique qu’elle avait intérêt à tenir ses engagements et à ne pas déclencher un conflit avec les États-Unis. Cela ne marchera qu’un temps puisque l’URSS fit exploser sa première bombe nucléaire quatre en plus tard, ouvrant l’ère de la dissuasion nucléaire.

C’était aussi un moyen de montrer à l’opinion publique américaine que le pays était « LE vainqueur de la guerre » et assurerait la défense du monde libre coute que coute. La mise en scène et l’invitation de spectateurs permettent de montrer que « Oui, c’est une arme terrifiante, mais entre nos mains, elle n’est pas un danger pour vous ». Après tout, l’histoire nous prouve qu’on oublie vite les problèmes liés aux radiations.

Et après ?

En 1953, site de l’essai fut « nettoyé » et une grande partie de la trinitite fut retirée et enterrée. Le site fut ouvert au public lors de visites organisées peu après et soixante-dix années après l’essai, la radioactivité résiduelle est environ dix fois supérieure à la normale. La dose reçue durant une visite d’une heure correspond ainsi à la moitié de la dose journalière moyenne d’un adulte américain et les visiteurs sont invités à ne pas ramasser les éventuels fragments de trinitite qu’ils trouveraient.

Les touristes ont été autorisés à assister aux explosions jusque dans la fin des années 50, officiellement dans le but de rassurer les populations. Devenu un National Historic Landmark en 1965 et inscrit au National Register of Historic places l’année suivante, le site fait aujourd’hui partie de la base de lancement de White Sands. Il reste une destination populaire du tourisme atomique même s’il n’est ouvert au public que deux fois par an : le premier samedi d’avril et d’octobre. Une visite spéciale fut organisée pour commémorer le cinquantenaire du test le 19 juillet 1995 et un nombre record d’environ 5 400 personnes y participa contre la moitié habituellement.

7 commentaires sur “Trinity, précurseur de la téléréalité

  1. Je viens à l’instant de terminer la lecture de ce cycle 1, et j’ai beaucoup aimé.

    J’ai préféré les chapitres consacrés au Pacifique et à l’Extrême-Orient, les évènements en Europe étant davantage similaires à ceux de notre histoire. La bataille des îles Mariannes était vraiment épique ! J’ai hâte de lire la suite pour savoir à quoi va ressembler la Guerre Froide avec cet Empire du Japon beaucoup plus puissant que dans notre réalité.

    La forme est très bien aussi, avec ces extraits de livres (et les questions qu’on se pose sur l’objectivité de leurs auteurs !), ces articles Wikipédia plus vrais que nature et même Guerre et Histoire ! La chapitre avec le forum, le troll pro-russe et l’intervention du modérateur m’a bien fait rire. J’ai particulièrement aimé les extraits des Shoguns de l’ombre.

    Si j’avais juste une micro-remarque à faire, c’est que des gens comme Kofi Annan ou Ban Ki-moon ont l’air d’avoir un parcours similaire à la réalité, ce qui m’a étonné si loin après le point de divergence. Pas d’effets papillons pour eux ?

    Pour le reste, c’est du tout bon ! Hâte de lire le cycle 2.

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    1. Merci pour ta lecture et ton commentaire.

      En effet, la guerre en Europe, bien qu’uchronique, est ironiquement similaire à la nôtre. C’est pour cela qu’elle est traitée sous un angle « moins détaillé » que la guerre du Pacifique.
      Pour ce qui du Japon, le Cycle 2 donnera un petit aperçu de ce qu’il va devenir. C’est, toutefois, le Cycle 3 qui donnera le plus de détails. En revanche, le Cycle 2 réserve d’autres surprises.
      Pour la forme, le choix du format « épistolaire », dans la définition large des anglophones, permet d’aller dans un niveau de détails et de worldbuilding qu’un format « roman » n’autorise pas.
      Pour l’effet papillon, j’ai tenté de le limiter un peu afin que les lecteurs aient des références OTL auxquelles se raccrocher.
      Le cycle 2 devrait débarquer dans quelques semaines.
      En attendant, n’hésite pas à faire un tour du site. Tu y trouveras pas mal d’autre contenu uchronique. Tu peux aussi t’abonner au site pour recevoir des notifications dès que des nouveaux contenus sont publiés.

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      1. Oh, et j’avais oublié : les illustrations ajoutent vraiment un plus. J’adore celle avec le Yamato et le Franklin côte à côte à Saipan !

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      2. Merci.
        Je trouve que les illustrations permette plus d’immersion et pour ma part, étant illustrateur, cela me permet de progresser.
        D’ailleurs, il est probable qu’après la publication du cycle 2, le cycle 1 reçoive de nouvelles illustrations et des remakes.

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