Le plan Ishiwara

Extraits de « Les Shoguns de l’Ombre : Kido et Yamamoto mettent fin à la guerre du Pacifique » — Shichiro Shoryu & Eugene Thornton — Édition Ackerman.

Il y a encore aujourd’hui peu d’informations claires au sujet de ce que nous appellerons ici le « Plan Ishiwara ». Première raison à cela : Ishiwara voulait faire rayonner la future République de Mandchourie. Deuxième raison : il fallait minimiser le plus possible l’apparente influence japonaise dans ce processus afin de le légitimer. Ainsi, ce chapitre est basé sur des interviews, des biographies et dans certains cas les mémoires de différents intervenants, notamment l’Empereur Puyi, Kanji Ishiwara, Zhang Xueliang et Yoshiko Kawashima. Toutefois, si Zhang et Kawashima ont livré beaucoup d’éléments sur certains des éléments abordés dans ce chapitre, Ishiwara quant à lui semble avoir volontairement entretenu le mystère alors qu’il s’est allégrement livré sur d’autres sujets dans ses écrits.

Le plan de Yamamoto et Kido était de conserver l’influence japonaise en Mandchourie pour l’après-guerre afin d’exploiter ce territoire riche en ressource. Ainsi, la pensée d’avant-guerre de Kanji Ishiwara imprégnait encore les cercles politiques, économiques et militaires japonais. Ils espèrent continuer à recueillir les « bénéfices escomptés de la mise en valeur de ce territoire. Tout ce qui manque Japon abonde dans son sous-sol (charbon, fer, pétrole) ou peut être cultivé dans ces vastes étendues (blé, soja).[1] » C’est pour cette raison qu’ils firent appel à Ishiwara, mais ce dernier, après ces années de mise au vert et de réflexion avait un nouveau plan pour la Mandchourie : établir un régime démocratique stable et reconnu par les grandes puissances et dont le Japon serait le partenaire privilégié et non plus le maître. Comme nous l’ont fait savoir les écrits de Mistumasa Yonai, aucun autre membre de la conspiration « Heiwa » n’était au courant et lorsqu’Ishiwara les mit devant le fait accompli, il était déjà trop tard. Yonai expliquant que la plupart des autres conspirateurs étaient furieux, surtout Kōichi Kido, puisqu’en s’exprimant au nom du Japon dans cette affaire, Kanji Ishiwra s’était aussi exprimé au nom de l’Empereur. Yonai rajoute, avoir été le seul à comprendre et défendre l’action d’Ishiwara et les décennies d’après-guerre lui donneront raison.

Le plan d’Ishiwara est plus en accord avec ses pensées récentes et restées jusqu’alors personnels, que celles qui l’ont poussé à fromenter l’incident de Mukden[2]. Ainsi, ce que ne savaient les autres membres de la faction Heiwa c’est qu’Ishiwara voit maintenant la Mandchourie comme un trait d’union entre la Chine et le Japon, dans une forme de pensée panasiatique.

Ishiwara a vraisemblablement rencontré l’Empereur Puyi et son frère le Prince Pujie durant le mois de septembre 1942, donc avant que Yamamoto puisse intercéder en faveur du général. C’est lors de cette rencontre qu’Ishiwara aurait convaincu l’Empereur mandchou d’abdiquer en faveur de la mise en place d’une République. Puyi lui-même a confessé dans ces mémoires qu’il n’était pas fait pour être Empereur et qu’être le pantin de Tōjō ne l’intéressait pas. Toutefois, avant que Puyi abdique, il fallait trouver un homme à mettre à la tête du gouvernement provisoire à venir. Dans un pays qui alors en proie à la corruption et aux trafics en tout genre, ce n’était pas chose aisée.

Ishiwara avait besoin de fabriquer un héros national pour la Mandchourie et pour cela il fit appel à la Mata-Hari d’Orient : Yoshiko Kawashima. Cette dernière fut chargée de se rendre secrètement à Chongqing en Chine avec un détachement réduit, constitué grâce à l’ancien réseau d’agent de Seishirō Itagaki. Ce général, meilleur ami d’Ishiwara, était autrefois officier de renseignement pour l’armée à Hankou[3]. La mission de Kawashima était « simple » : trouver et libérer Zhang Xueliang puis le ramener en Mandchourie via Hong Kong. Cette opération est relatée dans le livre « Le Périple » coécrit par Zhang Xueliang et Yoshiko Kawashima.

Kawashima parvient à sortir Zhang Xueliang de sa prison le 8 septembre 1942 lors de l’Opération Kyūseishu[4]. Kawashima et ses complices chinois ont en effet réussi à se procurer tenues, armes et faux document pour se faire passer pour des nouvelles recrues du personnel de la prison. Escortant des nouveaux (faux) prisonniers, il entre dans la prison et neutralise les gardes. Ces derniers sont jetés en cellule et l’ensemble des prisonniers sont libérés. Dans ce chaos, il faudra deux jours que les autorités reprennent le contrôle du site et se rendent compte qu’un prisonnier important a disparu. Ensemble, Zhang et Kawashima parviennent à traverser plus de mille kilomètres qui séparent Chongqing de Hong Kong ; essentiellement à pied ou à cheval. Ils atteignent Hong Kong le 11 octobre 1942, où ils passeront douze jours avant d’embarquer en direction de la Mandchourie. Le 11 décembre, Zhang Xueliang fait sa première apparition publique. D’après certains témoins, lorsque Tchang Kaï-chek apprendra l’évasion puis l’apparition de son prisonnier en Mandchourie, il entrera dans une rage folle.

En Mandchourie, Zhang Xueliang se fait alors relativement discret, l’armée japonaise se rappelle que c’est à cause de lui que le Front Uni Chinois s’est constitué et a permis à la Chine de tenir tête à l’Empire du Japon. Toutefois, le « jeune Maréchal » est bien escorté. Yoshiko Kawashima et ses troupes les plus fidèles ne le quittent plus. Zhang est ainsi discrètement escorté par une équipe d’une douzaine d’agents à chacune de ses sorties. Il passe l’année 1943 à se refaire une santé, et reconstituer ses réseaux politiques. Il s’allie ainsi à Kanji Ishiwara, l’homme qui a causé la vassalisation de son pays et souhaite maintenant lui offrir une indépendance. Le Japonais réactive ses contacts dans un think tank qu’il avait créé dans les années 1930, l’Association nippo-manchrourienne de recherche. Le groupe se compose d’officiers et sous-officiers japonais, dont certains sont encore d’active et présent en Mandchourie, et de leurs propres agents chinois en Mandchourie.


[1] Ishiwara : l’homme qui déclencha la guerre, Bruno Birolli.

[2]Le 18 septembre 1931, une section de voie ferrée, appartenant à la société japonaise des chemins de fer de Mandchourie du Sud, près de Mukden (aujourd’hui Shenyang), a été détruite. Cet attentat, planifié par les Japonais, donne ainsi le prétexte à l’invasion immédiate du sud de la Mandchourie par les troupes japonaises, et la création quelques mois plus tard de l’État fantoche du Mandchoukouo, sous l’autorité théorique de l’ex-empereur de Chine, Puyi.

[3] Hankou est une des trois villes, avec Wuchang et Hanyang, aujourd’hui réunies dans la ville de Wuhan, capitale de la province du Hubei, en République populaire de Chine. Comme ces deux autres villes, elle est située au confluent de la rivière Han et du Yangzi Jiang.

[4] Messie ou Sauveur en français.

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